C'était un pirate.

Mon grand-père était un pirate, plus à l’aise dans l’eau sans fond que sur la terre goudronnée. Sur son voilier, il voguait seul ou parfois avec nous. Il sortait du port à la force de ses seules voiles, parce qu’avec un moteur, c’était tricher. Pour déjeuner, il remontait un seau plein d’oursins. À 9 ans, il m’avait appris à préparer une ligne et mordre un poulpe. Parfois, en pleine mer, il disparaissait. Alors, on le retrouvait en haut du mât, plus proche de l’horizon.

Ma grand-mère avait réussi à le ramener à terre, et ensemble ils ont passé 20 ans à reconstruire un petit paradis dans l’arrière pays niçois.

Il respectait les cycles de la lune plus que les politiques. Il ne cuisinait pas, sauf la socca et les pizzas. Il ne s’habillait pas, à l’exception d’un maillot de bain bleu. Il n’aimait pas les gens, mais restait des heures à écouter son plant de tomates. Il n’avait pas d’argent, mais il a enterré des milliers d’euros dans notre jardin. Il n’écoutait pas de musique, sauf Sidney Bechet. Il n’aimait pas les grands vins, car il leur manquait un petit goût. A l’hôpital, il me disait ‘roh c’est pas la peine, ne reviens pas demain’. Puis, le lendemain, il ne dormait pas pour ne pas me manquer. Papy n’était pas facile, mais il faisait sens.

Il n’a jamais voulu d’enfants, parce que l’humanité n’aimait pas assez notre monde. Pourtant, il m’a eu, moi. Et il m’a offert la nature : mon cerisier, une poule, une scie et une cabane sous un arbre. Il ne me laissait jamais gagner à nos jeux, par respect. Quand j’avais le cœur lourd, il me ramenait au moment présent. Et si j’avais compris la leçon, il effaçait ma peine.

Notre premier petit déjeuner de cohabitation pendant le covid.

Papy m’a appris la vie, jusqu’à sa mort. Ces dernières semaines, j’ai pu tenir sa main et ses pleurs. Il faisait la grève de la faim, mais dévorait chaque douceur qu’on lui apportait. Il voulait partir, mais a eu peur dans les dernières heures. Il voulait revenir, mais seulement si c’était comme avant. Ses médecins l’ont diagnostiqué avec une démence calme; nos dernières discussions étaient les plus vraies.

J’ai le coeur brisé. Alors comme une chercheuse d’or, je cherche les fragments de ses bizarreries, de son trésor dispersé dans le temps, et notre jardin.

Bon vent, mon petit papy.